La bataille des poubelles dans le Libournais et le Nord-Gironde

Un des problèmes majeurs que le capitalisme finissant ne parvient plus à résoudre , malgré sa soi-disant toute-puissance, est le problème des déchets. Depuis des décennies, les réglementations s’accumulent, les structures s’empilent (communes , intercommunalités, SMICmachin, comités de filière, …. jusqu’à l’Union Européenne), le « business » des déchets est devenu très juteux mais on nous présente toujours l’affaire des poubelles avec le plus grand embarras.

Le dernier conseil du SMICVAL (la structure inter communale qui collecte et gère les déchets pour le Libournais et le Nord Gironde) s’est réuni mardi 6 septembre pour adopter une nouvelle « feuille de route » proposée par le président du SMICVAL, Sylvain Guinaudie. Dans son sens original, l’expression « feuille de route » désigne le chemin à parcourir pour aller d’un point À à un point B. Prenez à gauche, puis 2ème à droite … Dans le jargon néo-capitalisme, cette expression anodine est utilisée pour faire passer plus facilement un changement radical d’orientation.

Et donc, le président du SMICVAL n’a pas mâché ses mots pour présenter la situation actuelle de la manière la plus catastrophique : « Demain, le coût de la gestion des déchets va exploser. Rien que pour le traitement, la facture s’alourdira de plus de 4 millions d’euros. C’est de l’argent qui va enrichir une entreprise et ses actionnaires – Véolia, – plutôt que de rester sur le territoire, qui en a besoin ». Le journal « le Résistant », qui rapporte ces propos nous précise en outre que les 4 millions d’euros en question représentent une augmentation de 10 % du budget de la structure.

Quelle est la solution géniale décidée par le SMICVAL à cet épineux problème de poubelle ? Est-ce de questionner l’utilité de passer par une multinationale (VEOLIA) pour gérer nos déchets ? Non. Est-ce de questionner le fonctionnement capitaliste de l’industrie et de la grande distribution qui produit des tonnes d’emballages inutiles et faiblement recyclables ? Encore moins. Est-ce de s’interroger sur un système de gestion de déchets ultra-centralisé, qui transporte nos poubelles sur des dizaines de kilomètres avant de les traiter ? Que nenni ! La solution est simple : le SMICVAL va se décharger d’une partie du problème en reportant la charge de travail et la contrainte … sur le citoyen.

Cela coûte trop cher pour le SMICVAL de collecter chaque poubelle ? Et bien chaque famille devra faire avec ses propres moyens une partie du trajet de ses poubelles. Quelle distance ? On ne le sait pas encore. Probablement quelques centaines de mètres en zone urbaine dense, et quelques kilomètres en zone rurale. La belle économie que voilà ! Une partie du travail qui était effectué par des salariés, formés, rémunérés et embauchés pour réaliser un travail professionnel sera désormais réalisé par tout un chacun, parents débordés, personnes âgées, … et ce, gratuitement ! Rien d’original : la SNCF nous a habitué à faire nous même le travail du vendeur de billets de train, dans le maquis de plus en plus épais d’une tarification à géométrie variable. Ikea nous transforme en menuisier pour assurer nous-même le montage de nos meubles. Le télétravail permet à de nombreuses entreprises de transformer nos logements en bureaux, etc, etc. Le capitalisme finissant se dissout partiellement dans l’économie familiale, corvéable à merci.

Rien de précis n’est d’ailleurs dit sur l’impact qu’aura cette « feuille de route » sur l’emploi au SMICVAL. Mais il n’y a pas que le temps de travail reporté. Il y a le problème des personnes à mobilité réduite, des personnes âgées qui ne pourront pas aller déposer elles-mêmes dans les « points de collecte » ? Comment feront-elles ? Va-t-on voir arriver prochainement Uber-poubelle, après Uber-taxi et Uber-eats pour faire le travail de collecte ? Quelle honte que cette société prétendument moderne, qui livre à domicile tout et n’importe quoi, à grand renfort d’emballages, et qui laisse les déchets sur les bras des familles !!!

La « feuille de route » du président Guinaudie ne s’arrête pas là. On reporte le travail sur les familles, on va aussi exercer une contrainte (joliment appelée « incitation ») sur les familles pour « réduire le volume de déchets ». Au fond, le raisonnement est le même : l’industrie et le commerce produisent des quantités astronomiques de déchets, mais ni l’état, ni les collectivités (pourtant rassemblées dans un grand syndicat intercommunal), n’ont la force de caractère pour imposer quoi que ce soit aux grandes multinationales. La loi prévoit depuis 2011 que toute surface commerciale de plus de 2500 m² doit proposer un point de déballage et de collecte des emballages à la sortie des caisses. Cette loi n’est pas appliquée. Alors, on va laisser les familles prises en étau entre la grande distribution qui produit emballages et sur-emballages et un système de gestion de déchets qui refuse de les accepter. Elles devront trouver elles-mêmes les solutions.

L’objectif est ambitieux : en 2021, on a collecté sur le territoire du SMICVAL 650 kg de déchets par habitant. Sur ces 650 kg, 400 kg sont des déchets produits par les entreprises (bizzarement, on n’en parle pas) et 250 kg (par an et par personne) sont les ordures ménagères, c’est à dire celles des familles. Et bien de 250 kg, il va falloir descendre à 100 kg par an et par personne. Pourquoi 100 plutôt que le 75 ou 150 … et bien, probablement parce que 100, c’est joli, c’est un nombre facile à retenir. Comment les familles vont pouvoir atteindre ce magnifique objectif ? Et bien par l’incitation, voyons.

En effet, si les familles produisent 250 kg de déchets par an et par habitant (N.B : soit moins d’un kg par jour), c’est, pour notre président, de leur seule et unique responsabilité. Les gens, prenez-vous en charge ! Et pour rendre l’incitation plus convaincante, on va passer par le portefeuille. Si vous rendez trop de déchets, vous allez payer plus. L’hypocrisie de la « feuille de route » du SMICVAL atteint ici un sommet : au lieu de l’actuelle taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui finance le travail de collecte et de traitement de manière mutualisée, égale et obligatoire, on va proposer des « abonnements ». Comme pour le téléphone ! Vous devrez choisir votre forfait « poubelle » : Il y aura le forfait « grosse poubelle », et vous pourrez porter plein de sacs au point de collecte, et pour les classes populaires qui déjà n’en finissent plus de se serrer la ceinture, le forfait « mini-poubelle ». En plus de la charge de travail de porter les sacs, nous aurons aussi (nous prolétaires) la charge de les compter, de bien les remplir, comme nous devons compter au supermarché, le prix de chaque produit pour tenir dans un revenu insuffisant. Mais, on ne vous imposera rien, c’est vous qui choisirez votre forfait « librement »…

Nous devons attirer l’attention sur ce changement tout à fait dangereux. Passer de la taxe à l’abonnement, c’est un pas qui n’a l’air de rien, mais c’est précisément un pas décisif vers la privatisation et l’uberisation. C’est un pas en arrière, une dégradation du service public collectif et mutualisé vers un service morcelé, privatisé. Nous voyons aujourd’hui sur l’électricité, le gaz, les transports, le téléphone, que le service privatisé coûte toujours plus cher pour un service rendu moindre, inégalitaire et imposant au passage des conditions de travail et de rémunération dégradées pour les salariés. De plus, l’actuelle taxe d’enlèvement est basée sur la valeur locative du logement, établie par les services fiscaux. Plus on dispose d’un logement grand, bien placé, plus on paye. Avec le fumeux « abonnement », les familles populaires, vivant dans de petits logements, verront leur part de charge financière augmenter, au bénéfice des très riches. Une injustice de plus !

Le capitalisme finissant ne parvient plus à gérer le problème des poubelles, mais dans l’art de faire passer des vessies pour des lanternes, il a des ressources illimités.
Sous l’hypocrisie du « libre choix », cette société ne nous laisse en réalité plus qu’un seul vrai choix : celui de résister et de lutter pour une société juste, humaine et équitable, une société qui tourne la page du capitalisme et que, pour cela, nous appelons la société socialiste, la société des jours heureux. C’est un objectif ambitieux, de long terme. Le long fleuve de cette nouvelle société s’alimente des aujourd’hui de petits ruisseaux qui sont les batailles du quotidiens pour une vie digne. Dans les années à venir, nous devrons nous rassembler et nous battre pour le maintien dans de bonnes conditions du service public de collecte et de gestion des déchets dans le Libournais et le Nord – Gironde. Car comme beaucoup d’aspect de notre vie quotidienne, la production de déchets dépend d’abord de choix collectifs, aujourd’hui menés dans le secret des conseils d’administration des grandes entreprises de l’industrie et du commerce. C’est là qu’il faut, collectivement, imposer des changements et non en individualisant ou en désignant les familles comme bouc émissaire.

Plusieurs maires sont déjà montés au créneau et ont dénoncé (surtout sur la forme, un véritable passage en force lors du conseil) la feuille de route. Celle_ci a néanmoins été adoptée. Il va donc falloir mener une bataille de conviction, sensibiliser, expliquer, mobiliser, pour renverser les décisions. Nous pouvons rétablir un objectif commun pour un système de gestion de déchets de qualité et une remise en question de la chaîne qui les génère en amont. Nous pouvons développer un service de qualité, accessible à tous, permettant à chacun, familles, salariés, personnes âgées, dans les zones rurales comme urbaines, d’assurer la collecte, la gestion et le recyclage des déchets. En développant le service public, au lieu de le réduire, nous pouvons créer de nouveaux emplois et investir pour la qualité de ces métiers. En imposant des règles aux producteurs de ces déchets, l’industrie, la grande distribution, les multinationales de la livraison à domicile, nous pouvons réduire efficacement les volumes inutiles.

Les habitants du Libournais et du Nord-Gironde avec les salariés du SMICVAL sont directement concernés par ce projet d’abandon progressif du service public. C’est à eux de s’exprimer sur leurs réels besoins. Unis et rassemblés, nous pouvons imposer un salutaire changement de cap.

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